Du point à la ligne
- Marie

- il y a 4 jours
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Version “archive clarifiée” 2025 — fidèle, lisible, respectueuse de la vibration originelle de mai 2015
Nous utilisons constamment la métaphore du point et de la ligne pour décrire le réel. Le point, c’est l’instant, l’événement, l’unité minimale. La ligne, c’est le mouvement, la durée, la continuité. Mais lorsque l’on interroge ces deux idées avec un peu de rigueur, on découvre qu’elles ne sont pas aussi simples qu’elles en ont l’air. Un point n’a pas d’étendue ; une ligne en a. Un point est indivisible ; une ligne est faite d’une infinité de points. Mais si un point n’a aucune longueur, comment une infinité de non-longueurs peut-elle donner naissance à une longueur ? Voilà le premier paradoxe.
Nous vivons dans ce paradoxe sans jamais le remarquer, parce que notre esprit manipule ces abstractions avec aisance. Nous acceptons que la ligne soit une succession de points, mais cette succession n’est pas une succession dans le temps — c’est une construction mentale. Dans le réel, une ligne est un flux, un déplacement, une continuité.
Le point n’existe que comme limite, comme arrêt, comme découpe. C’est nous qui l’inventons pour mesurer, pour compter, pour comprendre. Lorsque la physique quantique est apparue, elle a bouleversé ces notions. Elle montrait qu’à l’échelle de l’infiniment petit, le réel semble fonctionner par quanta : des “points” d’énergie, des paquets indivisibles.
Mais en même temps, elle affirmait que la matière est aussi onde, déploiement, probabilité — autrement dit, ligne. Alors, qu’est-ce que le réel ? Un point ? Une ligne ? Les deux ? Ni l’un ni l’autre ? L’esprit humain aime les catégories : il veut que quelque chose soit soit un point, soit une ligne. Soit discret, soit continu. Mais le réel semble refuser ces découpages. Il joue entre les deux. Il se laisse saisir différemment selon la façon dont on le regarde. Peut-être que la connaissance ne vient pas de la réponse, mais de l’oscillation entre les deux pôles. Entre la fixité du point et le glissement de la ligne. Entre l’instant et la durée. Entre l’être et le devenir. Entre ce qui est clair et ce qui se dérobe. Lorsque nous voulons comprendre quelque chose, nous commençons toujours par le figer — par en faire un point.
Mais pour qu’une compréhension véritable advienne, il faut que ce point se remette en mouvement — qu’il redevienne ligne, relation, contexte. Le réel n’est jamais dans l’arrêt ; il est dans le passage. Ainsi, “du point à la ligne” n’est pas une progression logique, mais un geste de la conscience.
Nous isolons pour voir mieux, puis nous reconnectons pour comprendre. Nous découpons pour nommer, puis nous relions pour percevoir. Ce geste se répète partout : dans la pensée, dans l’émotion, dans la science, dans la métaphysique. Nous avons besoin du point pour commencer — pour poser un repère.
Mais si nous restons au point, nous perdons la vie. Ce n’est que dans la ligne que le sens peut apparaître. Peut-être que le réel est justement cela : un entre-deux subtil où les éléments n’existent ni comme points ni comme lignes, mais comme potentialités qui s’actualisent selon le regard que l’on porte sur elles. Le point n’est jamais entièrement un point, la ligne jamais entièrement une ligne. Nous vivons dans ce flou, dans cette tension féconde. Et c’est peut-être là, dans ce battement, dans cette oscillation, que la compréhension véritable prend naissance.



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